Guillaume Depardieu a passé sa courte vie à jouer avec le feu et s'y est souvent brûlé, très fort. A 37 ans, le 13 octobre, après des années d'autodestruction, il est mort au moment où, semble-t-il, il commençait tout juste à se construire, emporté par une pneumonie fulgurante, à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches.
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Portfolio L'acteur Guillaume Depardieu est mort
Portrait Guillaume Depardieu, comme un fauve
Dates clés1971
Naissance à Paris.
1996
César du meilleur espoir pour Les Apprentis, de Pierre Salvadori.
2003
Amputation de la jambe.
2007
Ne touchez pas la hache, de Jacques Rivette.
2008
Mort à Paris.
La nouvelle est sidérante. Elle clôture un destin tragique qu'il semblait presque appeler de ses vœux. Encore jeune homme, le fils des acteurs Gérard et Elisabeth Depardieu confiait récemment qu'il avait l'impression d'être déjà un vieillard.
Il y a quelques années, il avait créé une société de production sous le nom Post Mortem. En trente-sept ans, Guillaume Depardieu a vécu plus de vies, et chacune plus intensément, que le commun des mortels n'en effleure en deux ou trois fois plus de temps.
S'il fallait une image pour évoquer l'existence de Guillaume Depardieu, retenons celle du film de Bertrand Bonello, De la guerre, où on peut actuellement voir l'acteur au sommet de son art. Son corps était scarifié de toutes parts, sa personnalité incontrôlable, sa sensibilité à vif.
Au cours d'un après-midi passé avec lui sur une plage au mois de mai, pendant le Festival de Cannes, il avait révélé un caractère exalté, provocateur, débordant de tendresse et d'agressivité, généreux et intransigeant. Cinglé mais profondément aimable, visiblement tiraillé par un violent conflit entre soif de vie et pulsion de mort.
LE FASTE ET LES EXCÈS
Si certains, parmi ceux qui l'ont côtoyé, ont dû composer avec un comportement antisocial parfois éprouvant, ils sont nombreux à lui reconnaître une exigence rare dans le travail, et un talent d'acteur immense.
"Guillaume, c'est un bloc émotionnel pur qui rentre dans le cadre, disait de lui Bertrand Bonello. Il ne fait pas les choses à la légère. Je l'ai vu pleurer en disant : 'J'ai raté le plan.' Seulement si les gens ne sont pas capables de lui faire face, il peut sans doute broyer."
Sur le tournage, le cinéaste l'appelait "mon beau guerrier", une formule qui allait droit au cœur de l'acteur. Bonello fait partie de ceux qui ont gagné sa confiance, et qui en furent payés au centuple en retour. Ceux-là parlent de lui comme d'une personnalité adorable, infiniment riche, bouleversante, et surtout comme d'un grand artiste.
Elevé dans le faste et les excès, dans l'ombre d'un père plus grand que nature dont il a longtemps déploré l'absence, Guillaume Depardieu se débat pour exister. Rebelle à toute forme d'autorité, il se fait exclure du lycée à répétition, dérive vers la délinquance. Vols, alcool, consommation et trafic de drogue, prostitution, rien n'est trop noir pour sa révolte.
La prison arrive vite, dès 17 ans, et il y passera de longs mois de sa vie. Trois ans plus tard, le cinéma lui ouvre une porte. Il fait ses débuts aux côtés de son père, sur le plateau de Tous les matins du monde d'Alain Corneau, et poursuit pendant quelques années une carrière inégale, tirée vers le haut par son rôle dans Pola X de Léos Carax, en 1999, et par ses collaborations avec le réalisateur Pierre Salvadori.
Dans la première, Cible émouvante, en 1993, il donne la réplique à Marie Trintignant, dont le destin tragique fait aujourd'hui étrangement écho au sien. La deuxième, Les Apprentis, lui vaut le César du meilleur espoir masculin. Il jouera encore dans deux de ses films : Comme elle respire, en 1998, et Les Marchands de sable, en 2000, l'année de naissance de sa fille Louise.
A cette date, Guillaume Depardieu souffre atrocement des suites d'un accident de moto qui lui a broyé le genou en 1995, et des deux staphylocoques dorés qu'il a alors contractés à l'hôpital. Après dix-sept opérations, il se fait amputer de la jambe en 2003, traumatisme immense dont il se relève par le combat : il attaque l'hôpital Raymond-Poincaré pour "acharnement thérapeutique", crée une fondation pour lutter contre les maladies nosocomiales.
Il s'investit dans la musique, écrit un opéra, et des chansons, notamment "A force de" pour Barbara. La sortie de son premier album personnel était prévue pour le printemps 2009.
En 2004, il publie ses confessions sous le titre Tout donner, un livre écrit avec Marc-Olivier Fogiel qui entraîne une nouvelle brouille avec son père, deux ans après le film de Jacob Berger, Aime ton père, dont ils partageaient pourtant l'affiche et qui avait scellé leur réconciliation.
MÉLANGE UNIQUE D'INTENSITÉ, DE VULNÉRABILITÉ, DE PROFONDEUR ET DE DURETÉ
Privé de sa jambe, Guillaume Depardieu a un temps renoncé à sa carrière d'acteur. C'est pourtant avec sa prothèse qu'il révélera toute sa dimension, en 2007, avec le rôle d'Armand de Montriveau dans Ne touchez pas la hache, adaptation par Jacques Rivette de La Duchesse de Langeais de Balzac.
Dès les premiers plans, sa carrure d'armoire à glace fragile comme du verre, la manière qu'il a de boîter, lui donnent une assise troublante. A ce général qui se meurt d'amour pour une coquette qui se dérobe à ses avances, il apporte un mélange unique d'intensité, de vulnérabilité, de profondeur et de dureté.
Tourner avec Rivette fut comme une renaissance pour Guillaume Depardieu, qui a déclaré : "Grâce à lui, j'ai commencé à croire au cinéma, à la lumière, au plan-séquence, au travelling."
Il caressait depuis peu le projet de réaliser un film, "un seul", dans lequel il n'y aurait "que des femmes". En attendant, il disait refuser beaucoup de rôles, et choisir les autres à l'instinct, c'est-à-dire, en général, "pour les femmes".
Ainsi, on le verra bientôt à l'affiche de deux films réalisés par des femmes, Stella de Sylvie Verheyde, et Les Inséparables de Christine Dory. Pour le rôle de Damien, l'homme des bois philosophe qu'il a récemment interprété avec une intensité bouleversante dans Versailles, de Pierre Schoeller, il évoquait l'influence de sa mère, Elisabeth, marraine du film dans le cadre d'Emergence, la structure d'aide au cinéma qu'elle dirige depuis dix ans.
C'était un rôle taillé sur mesure, qu'il a magnifié peut être plus qu'aucun autre. Un rôle tristement prémonitoire aussi, se surprend-on à penser aujourd'hui. Sauvé par le petit garçon qu'il avait recueilli, Damien réchappait in extremis à ce qui ressemblait étrangement à une pneumonie. Malheureusement, et Guillaume Depardieu le savait bien, la réalité est toujours plus forte que la fiction.
Isabelle Regnier